2024 _ Escapade - Le lin dans le pays de Caux -mercredi 15 mai 2024

samedi 24 février 2024

Notre deuxième escapade 2024 est programmée le mercredi 15 mai sur le thème
du lin dans le pays de Caux.

Le matin, nous visiterons à Harcanville le musée du tissage Charles Denis dont nous avons fait mention dans notre ouvrage " les maisons des obscurs en Normandie " ( pages 54/57).

A LA DÉCOUVERTE DE L’ACTIVITÉ INDUSTRIEUSE DANS LE PAYS DE CAUX à Harcanville

J’ai regardé la météo. Elle est grise comme mes sentiments. Pluie le matin et le soir pour le mercredi 15 mai 2024 sur le pays de Caux. Et ce jour-là, nous devons visiter deux lieux dans le pays de Caux, en lien avec la fabrication des rouenneries et l’activité engendrée par la culture du lin. Mais les miracles existent. On y croit quand ils arrivent. En effet, ma première activité du matin, en me levant dubitatif, est d’aller à la fenêtre voir quel temps il fait. Je suis ébloui par un soleil joyeux et invitant aux belles escapades à la campagne.
C’est donc rassuré que je suis sur la route de Doudeville, avec mes deux charmantes passagères. La journée doit se dérouler avec des visiteurs et visiteuses des associations « Patrimoine(s) » et « Patrimoines de Rouen et Normandie ».
Sur la route, je constate que cette année, le pays de Caux ne sera pas seulement celui du lin, mais aussi celui des pommes de terre, car d’immenses champs sont préparés pour cette dernière culture.
Notre étape du matin nous mène au musée du tissage Charles Denis, à Harcanville, à deux kms à l’ouest de Doudeville. Beaucoup ne connaissent pas ce musée, moi le premier. Cela va donc s’avérer une belle découverte, au-delà de ce que nous pensions.

Sur la droite d’une belle et grande maison, le musée attend patiemment que nous percions son intimité. Mais pour le moment, nous sommes accueillis par la très aimable madame Jacqueline Maupas, veuve de Philippe Maupas, le créateur du musée, après que nous ayons fait connaissance avec tous les sympathiques participants de cette journée très instructive.

Donc ce musée a été créé à partir de documents et de matériels laissés endormis dans un grenier, grâce à l’initiative d’Alain Joubert qui a encouragé Philippe Maupas, descendant de Charles Paul Denis, industriel à Rouen et à Harcanville, à présenter cette belle exposition permanente à l’emplacement de l’ancien garage à tracteurs, rénové en musée. Une association a vu le jour en Avril 2007.
Charles Paul Denis avait un établissement à Rouen, 1, rue des Petites-Eaux, ainsi qu’une maison de ventes, rue du Renard dans la même ville. Il fabriquait des cotonnades, retors, toiles à matelas.
En 1888, Charles Paul Denis crée une fabrique de tissus en coton. Il y en avait douze autres dans la région d’Harcanville.
En 1900, l’entreprise est en plein essor. Elle emploie alors 200 ouvriers.
En 1920, la mécanisation supplante les métiers en bois. Les rouenneries nécessitent un travail manuel important. La production est vendue dans les colonies françaises.
En 1928, l’entreprise emploie 92 tisserands à domicile, 41 bobineuses, 34 trameuses, 3 ourdisseurs, 1 encolleur et un charretier.
1936. C’est la fin des métiers manuels. La fabrique d’Harcanville ferme.
Le coton arrive de Guadeloupe jusqu’à Rouen, puis par voie ferrée, gagne Harcanville.

Le parcours du coton suit les étapes suivantes :
Cueillette sur la branche, nettoyage, cordage, étirage, filage, teinture, mise en bobine (en canettes ou en écheveau) puis tissage.
La fabrication du tissu se faisait dans des petits ateliers installés dans des maisons paysannes. Trois générations ont travaillé pour la fabrique d’Harcanville. Il y avait un arrêt pendant la période des travaux dans les champs. Le paysan gagnait plus d’argent aux travaux des champs, car la fabrique était tributaire des commandes. La réception des tissus se faisait le jeudi, livrés en brouette à la fabrique d’Harcanville, puis les produits finis repartaient au magasin de Rouen, rue du Renard .

Les tisserands habitaient dans un rayon de 5 à 6 kms autour d’Harcanville. La maison du tisserand comportait trois pièces : la salle à manger, la chambre, « l’ ouvreux » ou « chambre à cacher ». Le métier à tisser est installé dans cette dernière pièce. Le sol est en terre battue pour garder l’humidité et la solidité du fil. La pièce est éclairée par de petits carreaux, appelés « verrines » ou « fuquets », côté nord, entre les colombes (poutres), scellés avec du torchis. Les verrines empêchaient le soleil et
la lune d’altérer les couleurs des fils et des tissus.
L’ouvrier tisse entre 5 et 7 m. de tissus par jour, d’une largeur d’1 m. 50 environ.
La fabrique réceptionnait ainsi 5.000 m de tissus par semaine.
Les registres contenaient les noms des tisserands, les numéros de fil, le poids de la pièce de tissu, le poids des déchets, les réprimandes du fabricant envers le tisserand, si le travail n’était pas parfait.
Jusqu’en 1900, la teinture du fil était à base de plantes (la garance par exemple). Ensuite, les produits chimiques ont remplacé les plantes.
L’écheveau (assemblage de fils pliés et noués par un fil maintenant le tout) était dégraissé dans un fût de chaux, puis teinté dans une grande bassine (boillet) en couleurs rouge, vert, ou jaune, suivant les commandes, puis séchés sur des échalas (pieux en bois).
La chaîne, sur le métier à tisser, est constituée de deux à trois cent fils de quarante m. environ, préparé par un ourdisseur.
Le peigne (ou « ret ») sert à pousser le fil, déposé par le passage de la navette sur la trame, contre le fil précèdent.
La navette (bobine recevant le fil qui sera inséré dans la trame de la chaîne) est livrée au domicile du tisserand par un charretier. Les navettes fournies sont en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la commande. Dans la navette, le tube en carton creux et conique, de 12 cm de long, reçoit le fil enroulé dessus.
Le rez-de-chaussée du musée abrite plusieurs métiers à tisser, dont un provient d’Amérique du sud, des rouets, des documents ou photographies concernant la fabrique Charles Denis, des échantillons de tissus et de fils de diverses couleurs, des navettes, des registres à la couverture toilée noire. Nous avons le privilège de voir fonctionner un métier à tisser. Les questions fusent, suscitant les explications enthousiastes de la propriétaire et de son fils qui l’accompagne. On sent qu’ils l’aiment, ce musée et qu’ils sont heureux de nous le présenter.

On nous invite maintenant à monter l’escalier. Qu’allons-nous trouver à l’étage ? La surprise est très grande. Il y a à l’étage une extraordinaire collection de plusieurs centaines d’outils anciens. Chaque objet est conçu dans sa forme pour un usage précis. Nous voyons là toute l’intelligence de nos anciens, qui n’avaient pas l’ordinateur, mais savaient observer, réfléchir et retenir les leçons d’une grande expérience des divers métiers qu’ils exerçaient. Beaucoup de métiers sont représentés : ateliers du forgeron, du maréchal-ferrant, outils pour l’agriculture, le bûcheron, le charron, le cordonnier, le mécanicien, le plombier, le coiffeur, le vétérinaire, le fabricant de chapeau, etc... Il y a même des jouets d’enfants, des objets pour la toilette. Car le cauchois ou la cauchoise savent se faire beaux pour les occasions festives. On dit tellement d’injustes jugements sur eux, surtout les gens de la ville. Les approcher plus intimement dans leurs vies de tous les jours permet de mieux les connaître, de les estimer, voire de les aimer.
Mais midi approche et on commence à avoir faim. L’heure de quitter ce très charmant endroit arrive. Après un rafraîchissement qui nous est gentiment offert, nous rejoignions nos voitures. Nous allons pique-niquer à la ferme « Au fil des saisons », à Amfreville-les-Champs, à l’est de Doudeville.
L’après-midi sera consacré à la découverte de tout ce qui touche au lin et à l’approche bucolique des animaux de la ferme. Mais ce sera dans un prochain article qui va suivre.

Dominique SAMSON
Le 17 mai 2024

Nous nous dirigerons ensuite vers Amfreville-des-champs où nous pourrons pique niquer avant de visiter à 15 H l’éco musée de M. Vandecandelaere.

Dans un précédent article, les associations « Patrimoine’s » et « Patrimoine de Rouen et Normandie » étaient, le matin, à Harcanville, à l’ouest de Doudeauville.
Il est maintenant midi et nous commençons sérieusement à avoir faim. Il est donc temps de gagner la ferme « Au fil des saisons » à Amfreville-les-Champs, à l’Est de Doudeauville. C’était une ancienne propriété des Hospices de Rouen, en 1670. Dans ce champêtre lieu, nous pique niquons, non pas assis sur des bottes de lin, dehors, mais dans une confortable salle servant de cantine ou recevant des classes scolaires pour des activités pédagogiques. L’ambiance est très conviviale.
Puis nous gagnons un espace servant de musée sur le lin et de salle de conférence, qui était avant l’écurie. Le maître des lieux, le sympathique Antoine Vandecandelaere, va durant une bonne partie de l’après-midi tout nous expliquer sur la culture et l’industrie du lin, avec beaucoup d’humour, force anecdotes, mais surtout avec l’art consommé de celui qui connaît très bien son sujet.

Ce sont ses parents qui ont acheté la ferme dans les années 1960. A partir de 1992, avec son épouse Brigitte, ils ont décidé d’élargir leur activité agricole en développant une activité pédagogique et touristique. Commencent rapidement des jeux de mots sur le lin : « Lin/ceul », « Lin/ge », « Lin/got » , etc. Moi, celui qui me plaît est « Ca/lin ». Des prénoms contiennent le mot lin : Lina, Lino, Linda. Le deuxième pape, succédant à saint Pierre, s ’appelait saint Lin. Il décéda à Rome vers l’an 79. Fêté le 23 septembre, il a été retiré du calendrier liturgique en 1969.
La fleur de lin, d’un bleu azur, apparaît tôt le matin et fane l’après-midi. Le lendemain, une autre fleur bleue réapparaît sur la même tige, mais disparaît quelques heures après. Ce phénomène dure dix à quinze jours. C’est un spectacle visuel étonnant, mais éphémère. Comme dit le dicton, « on n’y voit que du bleu ». Puis après, plus rien.
Mais commençons l’instruction des élèves présents. Il n’y aura pas de contrôle écrit, rassurez-vous !.
La France est le deuxième pays producteur de lin. Le premier est la Russie. 60% du lin produit en France vient de la région Haute-Normandie. Le lin est cultivé sur une surface de 120.000 ha. actuellement. Au XVII° siècle, c’était une surface de 300.000 ha. Le lin pousse sur une terre appelée loess (limon calcaire, très fin, d’origine éolienne, datant datant de quatre millions d’années, soit le Pléistocène).
Le lin est le plus vieux textile au monde. Les premières traces de lin ont été trouvées dans des cités lacustres, en Suisse, soit 8.000 ans avant notre ère. Puis le lin est très présent dans l’Egypte pharaonique. Notons tout de suite que le « LIN » est l’anagramme de « NIL ». Les draps de lin servaient notamment à envelopper les momies. Mais il servait aussi de vêtement confortable, comme maintenant. Le lin est hydrophile et antiseptique. Il ne provoque pas d’allergie. Il est doux. Il donne un sentiment de liberté. Il laisse la peau respirer.

A un moment donné, au XIX° siècle, le coton n’arrivait plus des Etats-Unis à cause de la guerre de Sécession. On le remplace en France par les cultures du lin et du chanvre. Quand la saison est bonne, un hectare peut produire sept tonnes de lin. Le lin, après récolte, est emmené à une coopérative de teillage. Il en existe cinq en Normandie actuellement. Au temps de la Seine-Inférieure, il y en avait cent cinq.
Les processus de transformation du lin
Le lin est peu exigeant en azote. Il n’y a donc pas de pollution des nappes phréatiques par les nitrates Quand la tige de lin est arrivée à maturité, elle est arrachée, mais pas coupée. Les tiges sont déposées en andains parallèles (ligne régulière d’un végétal récolté dans un champ et déposé sur le sol).
Après fanage, les faisceaux fibreux se détachent de la partie ligneuse de la tige, grâce aux champignons et bactéries. Fin juillet, début août, Il faut retourner le lin à terre pour obtenir un rouissage homogène (action de destruction de la matière gommeuse qui soude les parties fibreuses).

Le teillage consiste à séparer les parties ligneuses de la tige de lin. Il permet l’écapsulage ou extraction des graines (généralement dix jours après l’arrachage). Cela peut être réalisé lors de l’opération de retournement dans le champ.
Le broyage consiste à broyer le lin pour séparer de la partie ligneuse la matière textile et extraire la filasse. Cela se fait avec une écangueuse ou moulin flamand (volant munie de pales). Après broyage, tombe la moitié de la tige. Elle servira de paillage dans les jardins.
Circuit classique du pur lin, filature long brin = peignage, puis filature au mouillé (bain d’eau chaude avant étirage pour dissocier les gommes naturelles. Cela permet aux fibres de glisser les unes sur les autres) ou filature à sec (pour des fils assez gros).
Circuit pur lin, filature étoupes= cardage, peignage, préparation des mélanges, filature.
Circuit mélanges, filature fibres courtes= affinage, mélange, filature.
Puis teinture, tissage, confection.
Les fibres courtes donnent de l’étoupe. Les déchets ou anas servent pour la confection de panneaux agglomérés. La fibre peignée donne de longues filasses.

Quelques chiffres
Il y a entre 25 et 300 fils dans une tige de lin.
Les fibres représentent les deux tiers du lin teillé (60 à 90 cms), le dernier tiers est l’étoupe (partie secondaire) , les brins mesurent de 10 à 15 cms.
Un kilo de fil de lin peut faire cent kilomètres.
Avec un hectare de lin, on peut obtenir : 370 m2 de panneaux agglomérés, 1.650 mouchoirs, 1.000 torchons, 80 nappes, 35 draps, 300 m2 de revêtement mural, 150 litres d’huile de lin pour la peinture, 700 kilos de tourteaux et paillettes pour l’alimentation animale, 540 chemises, 200 jupes, 100 vestes 60 costumes, 60 tailleurs.
Un drap de lin est utilisé par deux générations, puis il est transformé en serviettes, en mouchoirs, puis termine son existence en chiffons.

Le lin, un produit aux multiples usages

Le fil de lin est très résistant. Ce qui explique son utilisation dans de nombreux domaines, parfois insoupçonnés.
Aéronautique / Automobile (plaquettes de freins / isolation). Mercédés a été le premier a utilisé le lin / Peinture (huile de lin) / PTT (sacs postaux / Sport et loisirs (skis, casques) /
Alimentation animale / Bâtiment (pierre de lin, béton, isolation, linoléum) / Ferroviaire /
Défense (gilets pare-balles, premier parachute en fils de lin) / Marine (poulies Karver).
Nautisme (Zodiac nautic/moulage de la coque) / Médecine (graines de lin contre le cancer du sein
Alimentation (pains des boulangers) / Economie (billets de banque, papier à cigarette)
Aménagement intérieur (panneaux de bois). Dans le pays de Caux, il y a la société LINEX. Créée en 1953 à Killem (Nord), elle s’installe à Yvetot en 1958. En 1982, on la trouve à Sainte-Marie-des-Champs, non loin d’Yvetot. Etc, etc...

Ce fut une présentation animée, mais pas ennuyante. Je découvrirai dans quelques instants qu’ Antoine Vandecandelaere est aussi un poète de talent ; il a publié en juin 2011 un petit, mais captivant livre : « La ferme au fil des saisons ou les histoires d’un paysan en pays de Caux ».

Nous terminerons cette excellente après-midi par une visite extérieure du domaine, saluant au passage les nombreux animaux de la ferme : mon ami l’âne (que j’appelle toujours mon demi-frère) qui est occupé à promener des enfants, un cheval tout de blanc vêtu, le coq, les poules, les dindons dont la tête nous fait penser à des extraterrestres descendus sur terre, les lapins, le paon qui fait la roue devant nous avec beaucoup d’orgueil. Il y a aussi les oies, qui font un grand bruit à notre venue. Cela ne m’étonne pas qu’elles aient réveillé les romains lorsque les gaulois ont essayé de gravir les remparts du forum, une nuit de l’an moins 390 à Rome. Nous n’oublierons pas les deux cochons qui ont oublié de faire une toilette avant de se présenter à nous. Mais le plus enclin à montrer son mécontentement lorsque l’on approche trop près de lui, c’est le cygne. Je le comprends et je compatis, car il vient de perdre sa compagne et il souffre de sa solitude. Lors de cette promenade, nous passons devant le four à pain, le clapier, le poulailler et autres petits bâtiments, ainsi que le verger. Nous finirons la visite par le bien tentant « supermarché » de la ferme, vendant de bons produits naturels de la ferme et des voisins (légumes, dont des pommes de terre, lait, fromages, cidre, pommeau, Calvados, miel, pommes, confitures, etc.).
Il n’y a plus qu’à regagner nos domiciles, emportant plein de belles images de cette journée ensoleillée. Qui a dit qu’il n’y avait rien de bien intéressant dans le pays de Caux ?.

Dominique SAMSON
Le 29 mai 2024