De Rouen au pays de Rouen, une escapade sur les terres du Roumois
Samedi 14 octobre 2017, 9 heures du matin, une expédition composée d’éminents membres de l’association Patrimoine(s) part vers les terres du Roumois, plus exactement dans les proches environs de Bourghteroulde, dans l’Eure. Nous ne serons pas trop en terre méconnue pour deux raisons : le nom de Roumois vient de Pagus Rotomagensis ou Pays de Rouen ; la deuxième est que la région de Bourghteroulde est le berceau de la famille du même nom, très bien connue à Rouen de tous ceux qui s’intéressent au patrimoine de la ville. Néanmoins, la journée ensoleillée qui s’annonce va apporter beaucoup de découvertes pour la plupart d’entre nous. Car nous n’allons pas seulement fouler le sol du Roumois, mais nous intéresser aussi à son sous-sol.
Pour commencer, le rendez-vous est fixé devant l’église Saint-Ouen-d’Infreville, un hameau de Bourghteroulde, connu en France de tous les historiens de la poterie. Avec quelques difficultés d’orientation pour certains pour arriver sur le lieu retenu, donc avec un peu de retard, nous nous dirigerons vers la forêt de La Londe, sur la carrière maintenant silencieuse, de « La Terre à Pot », guidés par un membre de l’ « Association Tuiles Poteries Briques du Roumois », présidée par sa fondatrice Françoise Guilluy, grande spécialiste des ateliers de poteries du Roumois, qui sera avec nous toute la journée. Au bout d’un chemin en forêt, sur notre gauche, nous arrivons devant l’immense « trou de Boulenger » rempli d’eau.
En 1907, Hyppolite Boulenger, de Choisy-le-Roi, prend en ce lieu une concession jusqu’en 1938. Il fabriquera notamment les carreaux du métro de Paris. Mais depuis l’époque gallo-romaine, il y avait une tradition d’extraction de la terre à poterie et sa transformation en objets finis dans les villages autour de Bourghteroulde, accentuée à la fin du XVIII° s. Le dernier potier sera Paul Leroux, en 1955. La raison de cette fin a été programmée par l’apparition des objets usuels en fer blanc, métal émaillé, aluminium, ensuite plastique. Au cours des XIX° s. et XX° s., la carrière de la « Terre à pot » fournira les ateliers de Rouen, Le Havre, Roumois, Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), Montereau (Loiret), Sarreguemines (Moselle), Dijoin (Saône-et-Loire), Saint-Amand-les-Eaux (Nord), Vierzon (Cher), Mehun-sur-Yèvre (Cher). A l’ouverture des ateliers de céramique de l’abbaye du Bec-Hélouin, les moines venaient aussi s’approvisionner en ces lieux.
Ce qui n’est pas courant, c’est que l’argile noire tirée de la carrière puisse donner de la céramique blanche ! C’est même rare. Petit détail pour les chimistes, l’argile noire de la carrière a été analysée par le CNRS, qui y a décelé des micro-organismes que l’on trouve dans les matières ayant donné le pétrole. La couche d’argile pouvait avoir une épaisseur de 6 à 7 m. et parfois descendre jusqu’à 25 m. de profondeur. Plusieurs milliers de tonnes d’argile ont été extraite de cette carrière au cours de son histoire. Ce qui vous donne une idée de la piscine actuelle. Heureusement, personne n’avait amené son maillot de bain. « Baignade interdite », est-il besoin de le préciser !
Nous allons ensuite voir le beau château du XVI° s., à Bosc-Bénard-Commin, où sa propriétaire, Isabelle de Bois-Hebert nous reçoit très amicalement. Jacques Le Lieur, rouennais bien connu de nous tous, est né en ce lieu vers 1480. Une grande et bonne surprise nous attend. Nous ne connaissions pas le puits, datant du XVI° s.
Admirable ! Abrité dans un ravissant bâtiment ancien, le puits fait 68 m. de profondeur. Pour nous donner une idée de ce grand vide, Isabelle de Bois-Hébert jette des pages de journaux enflammés dans le puits d’un diamètre de 3 m.20. Nous sommes tous ébahis.
L’ouverture du puits est constituée d’un mur circulaire, décoré dans le style Renaissance
avec notamment les blasons d’Antoine Le Lieur.
Jacques Le Lieur hérite du domaine vers 1503, à la suite du décès de son père et de celui de son oncle, Robert, mort sans postérité. Il le légua ensuite à son fils Antoine en 1546. La guerre de la Ligue ravage le secteur à partir de 1550. Les bandes catholiques du duc de Mayenne saccagent la propriété. Le château est détruit. Heureusement, la bande actuelle de Patrimoine(s) est pacifique ! Merci à Gérald qui, grâce à une bonne connaissance habitant la belle maison en pans de bois à côté du château, nous a permis de visiter ces lieux.
Il est temps de revenir à l’église Saint-Ouen-d’Infreville pour voir notamment les fonds baptismaux, dont le couvercle en terre vernissée du Roumois est classé Monument Historique.
Datant de la fin du XIX° s., d’un diamètre d’ 1,50 m, le décor est constitué de plantes et de fleurs. Un nom est partiellement inscrit : « Boismard ». Il a été longtemps délaissé derrière l’autel, alors que les fonds baptismaux avaient un couvercle de bois. Heureusement, Françoise Guilluy a réparé cette honteuse indifférence.
Nous observons également les pavages anciens dans le chœur et les deux pierres tombales de Louis Le Roux d’Infreville, conseiller d’Etat, intendant général de la marine sous Louis XIII et Louis XIV, décédé en son hôtel de Rouen le 4 mai 1672, à l’âge de 72 ans et inhumé dans l’église où nous sommes.
Pour terminer la matinée en beauté, nous irons à l’église de Bosc-Bénard-Commin, passant devant le beau manoir où l’écrivain Hector Malot a passé son enfance. Dans l’église, nous verrons les vingt-quatre vases acoustiques, maintenant entreposés dans l’édifice après la réfection de la voûte en 1988. Lors de la reconstruction de ce lieu de culte, à la fin du XVII° s., ces vases ont été scellés dans la voûte du chœur pour améliorer le son. Les anciens maçons n’étaient pas des ânes (si vous voyez le rapport !). L’embout de la bouteille, qui était placée tête en bas, devait dépasser de la voûte.
Mais tout cela nourrit l’esprit, pas l’estomac. Il est largement midi passé et nous avons faim. Nous irons donc à la Maison de la Terre, récent musée créé pour abriter les collections rassemblées par Françoise Guilluy, à Bosc-Roger-en-Roumois, bâtiment destiné aux visiteurs intéressés par tout ce qui touche localement à la poterie du Roumois, mais aussi aux scolaires, jeunes ou adultes, qui peuvent ainsi toucher la matière, la façonner, et peut-être voir susciter de futures vocations de potiers. Dehors, une grande table est mise, le soleil est là, la bonne humeur aussi, et c’est une grâce d’être ensemble pour partager un bon moment de convivialité et de restauration (je ne parle pas ici de celle des poteries !).
C’est avec un peu de lourdeur à l’estomac que nous poursuivrons l’après-midi par la visite du musée, créé grâce à la Communauté de communes de Bourghteroulde, mais aussi le charisme, la force de conviction, la passion de Françoise Guilluy. C’est un peu par hasard qu’elle s’est découvert cette passion, qui est devenue l’œuvre de sa vie. Composé essentiellement de cinq salles, d’un pôle d’expositions temporaires, d’un atelier de poterie et d’une salle de réunion, le musée raconte l’aventure prodigieuse, historique, industrielle, mais aussi humaine, des potiers du Roumois. Nous y verrons des briques, tuiles, égouttoirs, marmites, pichets, pots à braise, chaufferettes, cruches, compotiers, brocs à lait, grilloirs à café, plats à barbes, vases, bouillottes, épis de faîtage et autres objets. Sans oublier la pièce la plus fabriquée dans le Roumois, la cafetière de quatre litres, mais dont certaines pouvaient contenir jusqu’à sept litres, de quoi abreuver le groupe présent de Patrimoine(s). Devant ces objets, ressuscitent les scènes de la vie quotidienne, vécues par nos parents, aïeux. Et nous regardons alors ces objets avec un peu plus de tendresse. Et quand nous casserons une assiette, nous penserons au travail laborieux, mais soigné, des potiers de jadis, mais aussi d’aujourd’hui.
Comment remercier Françoise Guilluy de son accueil, de sa gentillesse, de son sourire, de ses commentaires instructifs ? En recommandant la visite de ce musée à nos familles, amis, collègues de travail, voisins. C’est le meilleur compliment que l’on puisse lui rendre. Et moi, je sais que je reviendrai dans ce musée...
Dominique Samson