Sur la rive gauche de la Seine, à la limite intercommunale Sotteville/Rouen, place des Martyrs de la Résistance, l’immeuble Trianon surprend par son importance, sa couleur et sa hauteur. Aux portes du Jardin des plantes de la Ville de Rouen, face au FRAC ( Fonds régional d’art contemporain Normandie Rouen, ancien garage des tramways), cet ensemble de 24 vastes appartements fut construit en 1932 sur la friche de l’ancien cimetière Saint-Sever.
C’est le 18 septembre 1931 que « Le Foyer Ouvrier » et les architectes Georges Lisch, André et Bernard Lefort ( descendants des célèbres architectes rouennais du début du 20ème siècle) obtiennent par arrêté du maire de Rouen l’autorisation de construire une grande bâtisse de 5 étages rue de Trianon. Le permis de construire signé Huet, adjoint au maire , stipule que préalablement à la mise en usage de la nouvelle construction « les promoteurs provoqueront la visite de réception et en faciliteront l’accomplissement selon les prescriptions de l’article 112 du règlement sanitaire de la ville ». Quelques années auparavant, en 1922, la Ville de Rouen a fait l’acquisition d’un terrain de plus de 10 ha situé au sud du Jardin des plantes entre la route d’Elbeuf et la rue Louis Blanc. A charge pour la société « le Foyer Ouvrier », destinataire en partie de ces 10 ha, d’aménager des jardins ouvriers et de construire des habitations à bon marché ( HBM). On ne parle pas encore d’HLM ( habitations à loyer modéré) . La somme demandée par la famille Gilles, propriétaire du terrain, 600 000 F de l’époque, parait très exagéré à la municipalité et notamment à Auguste Leblond, ancien maire et président du Foyer Ouvrier . Il intervient : « Notre expérience de plus de 30 ans de lotissements dans le quartier Saint-Sever nous permet d’affirmer que le terrain à vendre par parcelles à la population laborieuse et économe de la ville ne doit pas dépasser 8 à 10 F le m² au grand maximum dans le quartier de Trianon. Le prix de revient au m² de terrain disponible ne devrait pas dépasser 8F le mètre superficiel. Il y a donc lieu de réviser le prix demandé par les vendeurs pour ramener le montant total de l’acquisition au pris de 400 000 F ». Le prix fut revu à la baisse. Il ne faut pas longtemps dès l’obtention, enfin !, du permis de construire en date du 28 septembre 1931 pour que les travaux sur l’immeuble aillent bon train. Dès 1932 arrivent les premiers occupants locataires. D’abord les cadres des entreprises environnantes, leurs familles et du personnel de service, personnel logé dans des chambres aménagées au dernier étage.
L’immeuble Trianon a beaucoup de succès. On y voit un prolongement en terre normande des grandes réalisations anglaises de la fin du XIXe et du début du XXe, avec ses bow-windows, ses arcs cintrés, ses jeux de briques rouges, et ses silex, son chauffage collectif au fuel jusqu’en 1977 puis au gaz, ses garde-mangers extérieurs individuels au niveau des cuisines. On y côtoie des cols blancs, des commerçants, les familles de Robert Hersant et de Roger Parment ,futurs journalistes et même une cartomancienne renommée !
La loi Loucheur promulguée pour remédier à la crise du logement favorisera l’accession à la propriété. Les appartements seront mis en vente en 1970 et il ne fallut pas longtemps pour qu’ils soient vendus.
Depuis 1932 l’immeuble a, bien sûr, subi les affres du temps. Au cours des années, des spécialistes de la rénovation sont intervenus avec plus ou moins de réussite comme en 2010. Prochain objectif : l’électricité.
Les habitants du lieu pestent parfois mais ils louent en même temps le côté agréable et familial du quartier grâce au Jardin des plantes, réserve d’oxygène, véritable lieu de vie et de promenade pédagogique . Grâce au Jardin, l’immeuble Trianon est protégé par le PLUI de la Métropole Rouen Normandie et pourrait bien être classé un jour prochain.
André Morelle