Nous visitons souvent des châteaux, des manoirs, des musées, des expositions et la plupart du temps, les objets sont commentés, ainsi que la vie des propriétaires des lieux.
Mais qu’en est-il des objets du commun des mortels, que l’on voit sur les foires à tout, les dépôts-ventes, les brocanteurs ?
L’objet, après avoir été utile, est-il quelque chose d’insignifiant, encombrant, pouvant être jeté sans état d’âme ? Ou au contraire, est-il porteur de plein de symbolismes marquant le déroulé d’une vie d’humains ?
Arrivés à l’âge d’être séniors, bien souvent nous constatons une accumulation d’objets, collectionnés au cours des différentes étapes de toute une vie ou hérités des humains qui nous ont précédés. La vie n’étant jamais un long fleuve tranquille, arrivent les moments de déménagements pour une maison ou un appartement plus petit, l’entrée en maison de retraite. Et aussi malheureusement les deuils. Que vont faire nos enfants ou héritiers quand il faudra vider l’appartement ou la maison ? A chacun appartiendra le choix qui lui conviendra le mieux.
L’objet fait travailler nos sens :
le toucher (la matière utilisée, la caresse sur une terre cuite, un verre, un bronze, un plastique, la texture d’un tissu, le relief gravé sur un objet, la forme, la grandeur, la sculpture, les angles de l’objet, etc) .
l’odorat ( l’odeur d’une matière imprégnée dans l’objet, l’odeur de vieux papier d’un livre ou d’une archive, l’odeur d’un textile, d’un bois ciré, etc).
la vue (la beauté de l’objet, ses couleurs, ses inscriptions ou dates, etc).
L’ouie (le son émis par un objet touchant un autre, le son de verres qui s’entrechoquent, d’assiettes qui s’empilent, la mélodie d’une boîte à musique, d’une corde de violon ou de tout autre instrument musical, etc).
Mais il est bon aussi, je crois, de récapituler quelques caractéristiques philosophiques concernant l’objet.
Les objets ne sont pas anodins. Ils ont tous une histoire personnelle. Ils peuvent devenir comme des amis à qui on confie nos souvenirs personnels, nos passions de les avoir trouvés, dénichés, conservés, protégés, nos nostalgies ou nos rêves évanouis.
AMBASSADEUR d’une culture, d’une autre approche sur la manière de regarder un objet ailleurs dans le monde, son influence sur les croyances, superstitions, peurs, mais aussi aide mentale apportée à ceux qui le vénèrent. Il nous permet une ouverture intellectuelle sur d’autres façons de penser dans le monde passé ou présent.
PASSEUR DE MEMOIRE L’objet rappelle un moment de vie de ceux qui l’ont utilisé. Il évoque de bons souvenirs ou de dramatiques événements vécus. Le ressenti n’appartient alors qu’à celle ou celui qui a possédé l’objet. Mais cette émotion peut être partagée avec d’autres, qui vont revivre alors le même sentiment, par une photographie dans un cadre, un album photos ou autre bibelot. L’objet peut être comme un bonbon sucré qui nous rappelle un moment agréable à nous, éveillant la nostalgie. Un baigneur ou tout autre jouet va nous rappeler notre enfance et nous reverrons avec tendresse le visage de celle ou celui qui nous l’a offert. Une odeur d’encre sur un vieux porte-plumes va nous rappeler l’école primaire que nous avons fréquentée et la voix du maître d’école qui avec fermeté et patience nous a fait sortir de l’ignorance. Une vieille laitière va nous remémorer la visite du soir à la ferme, etc. Les objets « commémoratifs » (médailles, objets créés en rapport avec un événement festif, historique, sportif, un baptême, un mariage, une inauguration, une sortie touristique, etc) participent aussi à la transmission de la mémoire.
TEMOIN L’objet témoigne de la manière de créer, à un moment donné, l’utile ou le décoratif (ou les deux à la fois), d’une technologie précise pour le fabriquer, d’une période de la vie d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale ou artistique.
PORTEUR D’IMAGINAIRE L’objet permet de se créer une histoire sur ce qu’a pu vivre le bibelot que l’on tient en main ou la vie de ses divers propriétaires. Fouillant devant les étals des brocanteurs lors des marchés de la place Saint-Marc, à Rouen, ou partant en exploration dans le magasin « Résistes » à Darnetal, feuilletant un album photos, tournant les pages d’un livre, palpant un bibelot ou essayant de tenir la conversation avec une poupée désarticulée et orpheline, l’aventure intellectuelle n’est jamais loin pour se construire d’autres histoires, nourries de nos propres souvenirs, émotions, désirs ou fantasmes. Mais la mémoire, avec le temps, évolue et transforme les souvenirs personnels qui peuvent alors être édulcorés ou embellis. Il peut aussi rester des souvenirs très précis, des sensations très fortes qui restent gravés en nous, heureusement. Ils sont rappelés par des objets qui ont appartenu à d’autres. Ils remontent brutalement à la surface, suite à la rencontre inattendue avec l’objet. Ainsi, en 2022, les photographies des villes détruites en Ukraine rappellent brutalement à nos parents et grands parents ce qu’ils ont vécu pendant la deuxième guerre mondiale, alors qu’ils avaient mis une chape de plomb sur les dramatiques événements qu’ils avaient vécu il y a quelques décennies et leur fait imaginer aisément ce que doivent subir les populations d’Europe de l’Est.
PORTEUR DE REFLEXIONS PHILOSOPHIQUES L’objet est abandonné, suite au désintérêt de celui qui le possède, un déménagement, un divorce ou un décès.
Il y a là une réflexion sur la vanité ou le côté illusoire de la vie de l’objet comme de la personne. Toute chose a une fin et toute personne est appelée à disparaître, son corps, ses projets, ses désirs, ses expériences. De même, l’objet peut connaître la perte de son propriétaire, il est appelé à changer de mains, à subir l’infidélité et il est menacé de destruction.
Pourtant, il a connu l’attachement de celui qui l’a recherché, trouvé, conservé. Il a fait l’objet d’une passion, comme les humains peuvent connaître le coup de foudre, l’amour. Si l’objet pouvait ressentir le déchirement de celui qui l’a possédé longtemps et qui est obligé de s’en séparer, il saurait qu’il restera un rappel du conjoint disparu, du couple partant en maison de retraite, des enfants qui ont fait leurs vies et qui sont loin maintenant. L’objet devient alors un livre de souvenirs et chaque objet, quel qu’il soit, s’il pouvait parler, aurait bien des choses à raconter.
Maintenant, si vous me demandez si, depuis l’enfance, l’objet habite en moi, si parfois il m’envahit, je vous dirais catégoriquement oui.
Tous ces objets appartiennent à Dominique , et il y est très attaché.
Dominique SAMSON
19 avril 2022