« Suivez le guide ! » ou petite visite dans les guides d’autrefois .
Martine Pastor
Aujourd’hui, le voyageur emporte dans son sac de voyages, « le guide du routard » pour lui indiquer les ruelles pittoresques et les « restaus sympas ».
Hier, le « villégiaturiste » qui s’embarquait à bord d’un « train de plaisir », se munissait du guide Conty ou du guide Joanne. Ils savaient lui vanter les vertus hygiéniques des bains de mer, décrire les monuments historiques, « respectés comme de précieux souvenirs », et donner de précieux avertissements sur les peuplades lointaines, comme celles qui occupaient alors la Normandie…
Le guide Joanne, de 1916, prévient, page XVI :
La race normande est intelligente, active, vivante, soucieuse de ses intérêts matériels et légèrement matoise. La misère est à peu près inconnue dans ce pays, où le cultivateur, l’éleveur, le marchand dissimulent avec affectation l’aisance, souvent même la richesse, sous la longue blouse bleue et la casquette noire du fermier ou du maquignon. C’est un peuple « qui fait bien ses affaires ».
Malheureusement, au lieu de s’accroître en nombre, la population rurale de la Normandie ne fait que diminuer. L’abandon de la campagne pour les villes, le délaissement de la terre, qui est un fait général en France, se font sentir là plus qu’ailleurs. Il y faut ajouter le fléau de l’alcoolisme, qui sévit avec intensité sur ce beau pays.
Comme marin, le Normand est resté, sur bien des points, le digne fils des hardis navigateurs scandinaves dont le sang coule dans ses veines. Aux belles époques de la marine française les ports normands ont fourni de hardis explorateurs, tels que Jean de Béthencourt, d’illustres armateurs, comme le Dieppois Jean Ango, d’adroits corsaires et d’illustres capitaines, parmi lesquels il suffit de rappeler Duquesne et Tourville.
Aujourd’hui encore, le commerce du port du Havre s’élève au quart ou au cinquième de celui de la France, tandis que Fécamp « arme » pour la pêche lointaine de Terre-Neuve. Dieppe et le Havre se livrent à la pêche dans les eaux littorales de la Manche et approvisionnent de poisson le marché de Paris.
Toutefois, le Normand, un peu amolli par le bien-être, demeure moins foncièrement marin que le rude Breton.
Boudin, impressionniste, portraitiste et … moraliste
Ce sont ces rudes paysans qu’évoque Boudin dans une lettre de 1865, au retour d’un de ses nombreux séjours bretons :
« Quand on vient de passer un mois au milieu de ces races vouées au rude labeur des champs, au pain noir, et à l’eau et qu’on retrouve cette bande de parasites dorés qui ont l’air si triomphant, ça vous fait un peu pitié et l’on éprouve une certaine honte à peindre la paresse désoeuvrée. »
Boudin s’en prend aux villégiaturistes de Trouville dont il avoue pourtant, non sans une certaine arrogance, qu’ils constituent son « fonds de commerce » : « Faut-il le confesser ? cette plage de Trouville qui naguère faisait mes délices n’a plus l’air à mon retour qu’une affreuse mascarade. Il faut presque du génie pour tirer parti de cette bande de fainéants poseurs. » Mais la lumière sauve tout : « Heureusement, cher ami, que le Créateur a répandu un peu partout sa splendide et réchauffante lumière et que c’est moins ce monde que l’ élément qui l’enveloppe que nous reproduisons. »