Beaucoup d’entre nous avaient formé l’espoir que et la mairie de Rouen et la DRAC Normandie, vu la mobilisation locale et nationale des associations de défense du patrimoine en faveur du plan de restauration et de reconversion de l’ancienne église Saint-Nicaise que nous portons, reverraient leurs propres plans, afin que l’édifice demeure dans le domaine public et que ses trésors ne soient pas démantelés ni éparpillés.
Depuis 2016, nous avons veillé sur l’église, en avons suivi la lente et inexorable dégradation. Nous avons, par nos alertes répétées, poussé la mairie à changer les pare-gravois du clocher, qui tombaient en morceaux, au risque de blesser les passants ; par notre mobilisation, nous avons empêché la ville de procéder à une intervention de sécurisation sur le même clocher qui l’eût défiguré et qui eût bouleversé la parcelle du presbytère. Parallèlement, nous n’avons eu de cesse de faire ce qui se fait dans toutes les autres communes de France confrontées à la même problématique : démarcher les artisans, les collectivités, les associations, en appeler à l’État, préparer le terrain au mécénat, pour que la mairie ne soit pas seule à gérer ce dossier et qu’elle lance une restauration avec les moyens financiers de la mener à terme. Nous avons même déposé deux fois un dossier auprès de la Mission Bern pour que le site soit retenu parmi les bénéficiaires du loto du patrimoine. Nous avons également eu soin, depuis plus d’un an, de travailler le volet reconversion, en lien avec un architecte et des étudiants en master valorisation du patrimoine. Une exposition a même présenté les différents projets l’année dernière. Aucun élu de la ville n’a fait le déplacement. Nous avons en somme accompli une bonne partie des tâches que la mairie propriétaire avait les moyens humains et techniques d’accomplir elle-même, si elle l’avait voulu. Des communes encore moins bien dotées financièrement que Rouen ont réalisé des miracles. La raison ? Leurs édiles, plutôt que de partir défaits et d’opter pour la solution de facilité de la vente à un promoteur, ont accepté, en coordination avec les citoyens, d’user de tous les leviers disponibles pour restaurer un patrimoine commun et lui donner un avenir.
À la grande stupéfaction de l’ensemble des associations patrimoniales qui nous soutiennent et qui se sont investies à nos côtés, la municipalité a non seulement refusé d’appuyer notre démarche auprès de la Mission Bern mais elle a aussi annoncé, sans jamais que nous ayons été consultés, sans jamais que les citoyens rouennais, copropriétaires, aient été consultés, vouloir mettre en vente – fait inédit dans l’histoire rouennaise – quatre anciennes églises rouennaises d’un coup en mai prochain, dont Saint-Nicaise. À aucun moment, depuis 2015 et l’annonce prématurée de la mise en vente des églises Saint-Paul et Saint-Nicaise, la municipalité n’a donné une chance à un scénario alternatif. Elle semble même ignorer le diagnostic de l’étude sanitaire qu’elle a commanditée en 2008 et qui préconisait une intervention prioritaire sur le chœur gothique, lequel menace de s’effondrer et d’entraîner l’ensemble de la structure à sa suite. Notre appel à la Mission Bern visait à réunir la somme pour commencer les travaux.
La Boise est invitée à candidater à partir de mai à l’appel à projets sur Saint-Nicaise, comme si notre association pouvait rivaliser avec des opérateurs immobiliers… Le journal Marianne nous apprend que le ministère de la culture (la DRAC Normandie) travaille main dans la main avec la mairie à l’élaboration d’un cahier des charges strict à destination du futur acquéreur, qui devra assumer non seulement le coût de la reconversion mais en plus celui de la restauration.
L’enveloppe de l’édifice, du moins les parties inscrites, serait préservée, mais qu’adviendra-t-il des cloches, des orgues, des vitraux art déco et des autres trésors non protégés et que nous avons soigneusement répertoriés ? Nous n’avons aucune garantie là-dessus et ne sommes de toute façon pas consultés ni considérés par les services de l’État et les services municipaux, qui ne répondent jamais à nos questions sur ces « points de détail » absolument essentiels.
Nous ne nous avouons pas vaincus pour autant. L’église Saint-Nicaise, monument unique en France, n’a pas survécu à tant de sinistres à travers les siècles pour finir bêtement privatisée et vidée de ses trésors par des édiles démissionnaires. Nous avons un projet de reconversion pour Saint-Nicaise, un beau projet, un projet utile, évident, un projet d’autant plus utile et évident après l’incendie de Notre-Dame de Paris : créer là, dans un quartier scolaire et populaire, un centre public d’expertise et de formation aux techniques de restauration du patrimoine bâti (taille de pierre et maçonnerie béton), sur le modèle de l’illustre Opificio della pietre dure de Florence. Le secrétaire général des Compagnons du devoir a estimé qu’il manquait une centaine de tailleurs de pierre en France. Aussi étrange que cela paraisse, il n’existe pas de centre de ce type à Rouen ou même en Normandie. Il est plus qu’urgent d’en créer un, sachant le temps qu’il faut pour former un maître ouvrier. Une telle structure permettrait de disposer localement de toute l’expertise qu’il faut pour parer à une catastrophe comme celle de Notre-Dame de Paris – la ville aux cent clochers y est plus exposée que nulle autre – et de mettre autrement à disposition de l’ensemble du territoire national une équipe d’intervention d’urgence.
Nous demandons à la région Normandie, déjà très impliquée dans notre quartier, de prendre connaissance de ce projet, de le porter avec nous et d’en assurer la maîtrise d’ouvrage.
Nous vous demandons de le soutenir de toutes vos forces et de tous vos moyens, et d’en faire la publicité.
Nous demandons par ailleurs à l’État de cesser d’accompagner dans la plus complète opacité une entreprise municipale de dilapidation du bien commun, sous couvert d’économies budgétaires, qui joue de surcroît les monuments les uns contre les autres, au mépris de ce qu’ils représentent pour les Rouennais et l’histoire de l’art et de l’architecture. Les centaines de millions d’euros récoltés en moins de 48 heures pour Notre-Dame de Paris prouvent que l’argent est là, en abondance, qu’il surabonde même. Nous demandons que le surplus, considérable, soit pour une part affecté au renforcement de la Mission Bern et au soutien, pour une autre part, à la formation aux métiers du patrimoine, afin de remédier à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée sur l’ensemble du territoire.
Saint-Nicaisement vôtre,
Le Conseil de la Boise