DE L’EAU ET DU BOIS. LA LONGUE TRADITION INDUSTRIELLE DE L’EURE
(fin XVII° - milieu du XIX°)
D’après l’intervention de Jean-François Belhoste
Directeur d’études émérite à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
XXI° Rencontres de PATRIMOINE’S à Pinterville (Eure)
Samedi 15 octobre 2022
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Le département de l’Eure est irrigué par de nombreuses rivières : l’Andelle, l’Avre, la Charentonne à Bernay, l’Epte, l’Eure, le Gambon aux Andelys, l’Iton à Evreux, la Lévrière près de Gisors, la Risle, et bien sûr la Seine. De tous temps, l’homme, observateur et ingénieux, a su utiliser la force de l’eau pour la transformer en force dynamique mouvant des roues de moulins ou d’usines.
En 1803, il y avait 628 moulins dans l’Eure (13 mécaniques à filer le coton et friser la laine, 505 moulins à blé, 26 moulins à foulon, 24 à papier, 19 à huile, 19 martinets de forges et fenderies). En 1850, il y avait 647 moulins en activités. Ils ne seront plus que 440 en 1900. En 1906, il y a 404 chutes en activité. En 1860, la puissance hydraulique est quatre fois et demi plus grande que celle de la vapeur. Mais en 1906, la vapeur est deux fois et demi celle de l’hydraulique, ce qui montre l’évolution de la technologie.
En 1840, 241 communes sur les 791 du département de l’Eure avaient une activité manufacturière sur leurs territoires.
La Révolution industrielle du XIX° s. est née en Angleterre. Elle a pu s’exporter en France car il y avait dans notre pays un bon maillage de cours d’eau, favorable au développement de sites industriels hydrauliques.
A Louviers, Jean-Baptiste DECRETOT (1743-1817), industriel et homme politique, cède en 1810 sa manufacture à Guillaume Louis TERNAUX (Sedan 1763-Saint-Ouen 1833), manufacturier, négociant et homme politique. Mais il y a bien d’autres manufactures à Louviers : usine Achille MERCIER, puis Miquel BRETON, filature AUDRESSET, moulin Paul FRIGARD, puis LALUN, puis LAIR, etc.
Dans la vallée de l’Andelle, à Pont-Saint-Pierre, il y avait un ancien moulin à fouler.
Nous n’oublierons pas la singulière usine du baron Levavasseur, près de l’abbaye de Fontaine-Guérard
A Charleval, Edmond et Adolphe PAYNAUD, originaires de Saint-Malo, créent à la fin des années 1840. l’usine du Pont des Jardins. En 1880, l’usine voisine du pont de l’Andelle passe sous la tutelle d’Armand Paynaud. A l’Isle-Dieu, commune de Perruel, près de l’ancienne abbaye, s’est installée une filature. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire industrielle de la vallée de l’Andelle, je leur conseille de consulter le site internet de l’association « Histoire du Val de Pitres », très documenté.
A Brionne, Louis-Jacques DANET est sur un moulin à foulon, qui devient une filature de coton « La grande fabrique » en 1902.
A Serquigny, le marquis Ernest de Croix d’Euchin (1803-1874) confie une filature à Pierre SEMENT. Cette usine, dite de Saint-Pierre possède une roue hydraulique de 900 chevaux, testée en 1861. Son génial inventeur est Alphonse Sagebien (1807-1892).
Mais d’autres manufactures ont existé à Amfreville-sur-Iton, aux Andelys (Manufacture royale), Beaumont-le-Roger, Brionne, à Bernay, Evreux, Gisors, Lyons-la-Forêt, Verneuil-sur-Avre, etc.
Les cours d’eau sont aussi utilisées par d’autres industries, notamment métallurgiques, telles :
Serifontaines, près de Gisors. Pierre Eugène SECRÉTAN (1836-1899) est le pionnier de l’industrie du cuivre. L’usine, dite de Saint-Victor, possède le premier laminoir, créé par un ancien général de Napoléon, Rolland, puis Pierre-Eugène Secrétan. Ce fut la Société des métaux, puis la Compagnie Française des Métaux, puis Tréfimétaux, usine qui fabriquait les pièces jaunes des euros.
Dans la vallée de l’Epte, à cheval sur les communes de Bray-Lû et de Bus-Saint-Rémy, créée en 1845 à partir d’un moulin remontant à l’époque de Saint-Louis, l’usine de « La Vieille-Montagne » existe toujours. Mais elle a changé de nom. Mais pas sa spécialité : le laminage du zinc et la fabrication de produits finis : tôles pour la toiture, gouttières, fils de zinc, éléments décoratifs, etc. Une petite usine fut construite à Dangu en 1835 et rattachée à la société de « La Vieille-Montagne ».
A Romilly-sur-Andelle, furent fabriquées les premières plaques de cuivre pour la Marine. Les usines de Navarre, depuis 1843 à Evreux, fabriquent des objets en métaux non ferreux (zinc, laiton, cuivre, bronze). Par exemple, les lampes Pigeon et Abeille ont été fabriquées en ces lieux. L’usine fêtera son centenaire en 1995, mais fermera définitivement en 2004.
A Francheville, existe un « Musée de la Ferronnerie et des métaux annexes ». Il est situé dans le pays du « grison », minerai de fer local. En 1835, le village comptait 400 forges pour 1.800 habitants. La dernière forge s’est arrêtée en 1988. Le musée reçoit des groupes de dix à quinze personnes. À cinq kilomètres de là, dans le cimetière de La Géroulde, il y a une grande pyramide de fer forgé, sur la tombe de Martin DUVAL, maître de forge, décédé en 1836.
Il y a bien d’autres sites industriels dans le département de l’Eure :
Les forges de Breteuil et de Conches-en-Ouche, les tanneries de Pont-Audemer, les fabriques de clous et d’épingles dans la région de Rugles, les peignes à Ezy-sur-Eure, les instruments d musique à La Couture-Boussey. Il y a aussi les briqueteries, les tuileries.
Mais le département de l’Eure est couvert par de nombreuses forêts. Ce qui permit le développement des verreries depuis le moyen-âge. Le bois chauffe les fours, la fougère entre dans la composition du verre. Elles se trouvent notamment dans la forêt de-Lyons-la-Forêt : Bezancourt (Le Landel), La Haye, Bezu-la-Forêt. Martagny. Certaines ont conservé leurs bâtiments.
Cet inventaire sommaire peut ressembler à celui de Prévert. Mais il est impossible ici de rentrer en détail sur chaque site, ni de les nommer tous. Il existe une abondante littérature sur le sujet et certains sites n’ont pas encore fait l’objet d’études complètes. La présente présentation s’est basée sur l’excellent numéro de « Connaissance de l’Eure », numéros 47/48, 1983, rédigé par Jean.-François Belhoste et J.-M. Chaplain.
Cet inventaire montre deux choses :
Premièrement, souvent, quand on évoque le département de l’Eure, on voit des plaines, des églises ou abbayes, de ravissantes maisons ou de typiques bâtiments historiques.
Deuxièmement, force est de constater que l’image est incomplète. Il y a un abondant et riche patrimoine industriel, dont la découverte est illimitée, source de connaissances sur le génie de l’homme, sa maîtrise des ressources locales, sur sa laborieuse construction de l’histoire de l’économie locale.
Bonne lecture et promesse de belles découvertes dans le département de l’Eure.
Dominique SAMSON
29 novembre 2022